Ma nouvelle dépendance ; Kyndra.

Combat singulier. Suspens en crescendo insoutenable. Je le dévisageai en cas d'attaque fourbe comme il en était capable. Mes prunelles s'agitaient. L'affrontement allait débuter incessamment sous peu et il serait mortel. Tout ce chemin pour en arriver là, ce face à face, ce duel que je redoutai mais que je savais indispensable. Je devais en sortir victorieux, pour ma vie et celle de ceux que j'aime. Me bras partit aussi vivement qu'un escargot survitaminé et je m'en empara. L'écrasant sous mes doigts vigoureux, je l'envoya le plus haut possible. Sa chute me parue longue, stressante. Si ce coup ne le tuait pas, alors, c'était finit, l'échec, la défaite et la honte. Une mort à petit feu. Pourtant, il décrivit une courbe imperfectible avant de s'écraser dans un petit flop au goût de victoire.
Je bondis derechef, mon point levé haut, formant un « V » avec mon index et mon majeur !

« Gagné ! »

D'une démarche sautillante et excitée, je me pencha sur la cuvette de mes toilettes immaculés. Je me perdis dans la contemplation de son cadavre. Il flottait dans l'eau. Le paquet de Marlboro que j'ai terrassé, alors qu'il me tentait depuis des jours. Cela faisait plusieurs semaines que j'avais grillé ma dernière garrot. J'étais fier de tenir et ça n'avait pas d'effet secondaire notable... Enfin, j'avais juste une incapacité chronique à rester en place plus de 3 secondes et à crier « bouh ! » à toutes les personnes que je croisai.
Le souvenir de ma dernière cigarette me revint. Un bien grand soir. Tout se résumait en un premier contact. Tout ou rien d'ailleurs, c'était le vide intergalactique depuis ce jour. J'avais espéré, perdu espoir, puis espéré à nouveau.
J'accorde ma capacité à tenir sans cigarette par une autre dépendance. Celle qu'elle exerce sur moi.

Trêve de blablah. Lêve-toi et marche Dayton, la journée vient de se lever et même sans Ricoré, elle s'annonce belle. C'est dégueulasse le Ricoré t'façons. Qu'avais-je envie de faire aujourd'hui ? Mmh. La voir. Non, on oublie ça. Autre chose ? Oh... La voir ? Bordel, Dayton !
Résolu à ne pas savoir ou aller, je me dirigea vers le parking et grimpa dans ma BMW fraichement acquise. Je n'ai jamais été friand de démonstration de fortune, mais il faut avouer que les bagnoles chères ont de la gueule. Je pris lentement la sortie de l'Université, ne sachant toujours pas où j'allais pouvoir planter mes jambes qui remuaient déjà d'impatience. Du calme les filles. Puisqu'elles avaient tant envie de se dégourdir, un tour au parc ne serait pas pour leur déplaire. Je m'engagea dans la route peu fréquentée qui donnait directement sur l'espace vert et agréable, lorsqu'une silhouette ô combien familière me foutue une claque – C'est du figurée, enfin pour le moment -. Accélérant légèrement puis m'arrêtant à sa hauteur, je baissa ma vitre et me pencha vers elle :

« Tu montes ? »

Attendant sa réponse, je me pris à imaginer la tournure de ma journée. Je ne souhaitait que la voir et, comme par magie, je la trouvai seul arpentant un trottoir. Instinctivement, je ne pu m'empêcher de marmonner :

« Va te faire foutre Ricoré, j'ai pas besoin de toi. »

***
La première chose que Kyndra entendit le samedi matin, ce fut les premières notes de « Dragster Wave » de Ghinzu.
It seems during the day that I'm a spy reincarnated
Into a very strange love affair between a dream and a man.
Elle sentit son coeur se serrer. Cette chanson lui rappellait tout ce qu'elle souhaitait oublier à jamais : cet affreux déjeuner en famille où sa mère n'avait cessé de lui faire des réflexions sur son poids ; l'aisance avec laquelle elle avait enfoncé, agenouillée devant la cuvette des toilettes de l'université, deux doigts dans sa gorge pour vomir tout ce qu'elle avait ingurgité quelques heures auparavant ; et les larmes de désespoir qui avaient brouillé sa vue lorsqu'elle s'était écroulé dans les bras de Dayton.
Tout ça en une journée.
Soulevant difficilement ses paupières, Kyndra jeta un coup d'oeil vers son radio-réveil et lâcha un profond soupir : il était à peine 6:30, et elle n'avait même pas cours ce matin. Tant pis. Dégageant ses couvertures d'un coup de pied, elle se leva et se dirigea d'un pas lourd dans la salle de bain. C'était l'un des nombreux avantages d'être la ou le président d'une confrérie : avoir une chambre sans être obligé de la partager avec un colocataire - et Dieu sait que Kyndra détestait partager quoi que se soit. Debout devant le miroir, elle fixa son reflet d'un air absent pendant quelques secondes, alors que son radio-réveil crachait le début de la partie piano de la chanson.

Une heure plus tard, Kyndra quittait sa chambre universitaire, vêtue d'une simple robe blanche en mousseline Chloé et d'une veste. Elle songea à prendre un taxi et aller au premier lieu qui lui venait à l'esprit, puis elle se ravisa et décida que se ballader tranquillement lui ferait du bien. Le Park serait l'endroit idéal pour prendre un peu l'air. D'un pas décidée, la tête haute - comme toujours - la jeune femme s'engagea sur la route sinueuse qui la menerait au Whaley Lagoon.

« - Tu montes ? »

Kyndra tourna lentement la tête vers l'inconscient qui venait, apparement, de l'aborder de la façon la plus grostesque qui soit. Elle manqua de défaillir lorsqu'elle tomba nez à nez sur Dayton. Il était plus beau que dans ses souvenirs. Ses yeux sombres et intenses, sa bouche parfaitement dessiné, sa peau clair dénué d'une quelconque imperfections... Hum. Elle se reprit. Comment était-il possible qu'un garçon aussi parfait lui adresse la parole, à elle, la Présidente des Zeta Beta Zeta comme elle tenait à le préciser en toute circonstance, comme si elle était une... vulgaire prostituée !? Kyndra plissa les lèvres et lança un regard méprisant à Dayton, comme s'il n'était non pas le garçon qu'elle tentait en vain d'oublier depuis des semaines mais juste un minable ringard qui semblait croire qu'elle le laisserait lui parler de la sorte.

« J'ai peur de te décevoir, mais je ne suis pas une putain. Ni même une Tri Pi Iota. Enfin, tout le monde sait que c'est la même chose... » lança-t-elle accompagné de l'un de ces sourires hypocrites les plus réussis.

Kyndra ne pouvait se résoudre à lui faire comprendre qu'elle l'appréciait. Qu'elle l'appréciait vraiment. C'était plus fort qu'elle. Pourtant, elle n'avait rien, absolument rien, a lui reprocher. Elle était même persuadée que si elle venait à le présenter à ses parents, ils le trouveraient parfait pour leur fifille adoré. Riche, beau, co-président des Omega Chi Delta... Mais il s'en fichait. Dayton profitait de son argent sans l'étaler aux yeux de tous, ne profitait pas de son rang de co-président pour mener la vie dure aux bizhuts, ne se comportait pas en immonde connard hypocrite et manipulateur - contrairement aux autres membres de sa confrérie... Leurs caractères respectifs étaient diamétrialement opposés, et la jeune anglaise en était parfaitement consciente. Et pourtant... Une goutte d'eau tomba et glissa sur le bout de son nez, tirant Kyndra de sa rêverie. Elle leva la tête vers le ciel. *Et merde...* Le ciel s'était assombrit.
Il commençait tout juste à pleuvoir.

« Bon. »

La jeune anglaise s'avanca vers la voiture et tira la portière, glissant sur le siège passager. Sans un regard pour Dayton qui devait sans doute s'amuser de son comportement, elle attacha sa ceinture de sécurité et fixa la route devant elle.